INCHA ALLAH et LWALDINETakfarinas de « Way Telha » a gagné en épaisseur. Il y a d’abord, ce retour au source dans « Lwaldine » (les parents). L’artiste a dès le départ choisi de puiser son œuvre dans le vaste patrimoine chaâbi. L’enfant de Tixeraïn a rendu hommage dans des chansons tels que « Leknouz » (trésors) aux maîtres du châabi comme El Hasnaoui, El Anka ou Azem.

« Je t’envoie en messager toi qui vas vers la contrée qu’elle habite, dis lui, te voir ferait mon bonheur ; Même en mes rêves tu es abolie, dis à celui qui l’a épousée s’il sait le prix de son trésor », chante-t-il en berbère à la manière des chyoukh. Depuis son jeune âge, Takfarinas, Ahcène Zermani, a toujours eu une admiration pour l’univers du châabi. Au fil des chansons, comme « Lwekhda » (Le malheur) ou « Laâslma » (Bienvenu) ou « Lwaldine », on sent ce désir de retrouver les parfums de Qcidate. L’artiste semble avoir mis tout le cœur dans son interprétation tant mélodique que vocale.

Dans « Lwaldine », enrichie par un prélude à l’algéroise, le clin d’œil à « Sohane Allah Ya Ltfi » de El Hadj M’Hamed El Anka est évident. Ici et là, il y a des petites touches des modes « zidane », « Sika » et du rtyhme « goubah’i ». « Seulement, le « goubah’i » de Tak n’est pas saccadé comme celui du châabi. Il est plutôt nuancé. Pour échapper à la monotonie, les phrases musicales sont longues », a relevé le musicologue Nase-eddine Beghdadi qui a présenté l’album. Coloré par le style Yal, qu’il a lui-même développé, le second album de Takfarinas, « Incha Allah » est très in, actuel et rythmé.

L’artiste, auteur-compositeur, est allé chasser sur toutes les terres de la mélodie. « Chouya chouya » (doucement, doucement) rappelle tant les envolées harmoniques de la nouvelle pop turque qu’un ancien tube, « Zâama zaama », le préféré des clubs de danse pendant des semaines en 1999. « Approche-toi bonheur, on danser chouya chouya. Et lâche-toi, écoute ton cœur ! », est-il chanté. Dégageant davantage de bonne humeur, Takfarinas poursuit dans « Imazighen » sur un style saharien. « La liberté est précieuse. Elle vaut le prix d’une vie. Je le jure par ceux qui ont donné leur vie », des paroles d’une chanson qui ressemble à un hymne à l’identité, au vouloir être et à l’émancipation. L’amour, autre sujet préféré de l’artiste, est présent dans Fella-M (pour toi).

Très soignée sur le plan composition, la chanson est précédée d’un prélude. Il y a là de l’oriental, du raï, du groove et de l’istikhbar berbère. Un va et vient plaisant et savoureux. Tout l’art ouvert et varié de Takfarinas est dans « Fella-M ». Dans « Rosa rosa », l’artiste, qui ne manque pas d’idée, a fait un savant dosage entre la Jeel music et les sonorités kabyles. « Les gens me disent qu’a-t-elle de plus. Si seulement vous la voyiez… », chante-t-il nous rappelant les paroles de « Lamouni li gharou meni » du tunisien El Hadi Jouini. Le malheur des harragas (inévitable !) est évoqué dans « Assirem » (l’espoir).

Là, Takfarinas de faire parler la douleur des jeunes à travers l’expression Rap avec un légère couche de rtyhme à la mode Remiti. Cela ressemble presque à un manifeste pour les libertés : « la jeunesse de l’espoir, la source de la lumière, on nous appelle les blacks, les beurs qui viennent d’ailleurs, le travail paiera, l’espoir du futur c’est toi, l’avenir nous le dira. Regardez Obama ».

Takfarinas a rendu hommage dans son nouvel opus, produit par Izem Pro et Mondole Prod, chanteur-poète blege Jacque Brel avec la reprise « Ne me quitte pas ». « Cet album est la somme de la longue expérience artistique de Takfarinas. Ces œuvres de la plénitude montrent un Takfarinas au somme de ses capacités. Ce disque est le résultat de trente ans de travail », a estimé Nasr-eddine Beghdadi. Côté interprétation musicale, Takfarinas a été accompagné, entre autres, par Youcef Boukella à la basse, Karim Ziad à la batterie, El Hadj Khalfa et Mustapha Mataoui au piano, Abdenour Djemai à la guitare et à la mandoline, Lyamine Hamar à la flûte, Nabil Mansour au rebab et Farid Zehouane au saxophone.

Pour les paroles, l’artiste a sollicité la contribution de Mouloud Ait Ameur, Moh Outoiti et Djamila Tferka. Designé par Alexandre Missey, l’abum de couleur café-beige-jaune est illustré par les calligraphies berbères de Amar Amarni et lez photograhies au style libre de Youri Lenquette. Les prospectus, qui accompagnent l’album, sont écrits en anglais, en arabe, en tifinagh, en latin et en français. Qui a dit que la musique a des frontières?