Un aveu un peu forcé, il faut bien le dire car, cette gigantesque manifestation a été organisée au moment où une délégation de journalistes nord-américains se trouvait sur les lieux. Selon le bureau de l’agence francaise AFP de Rabat, cette manifestation s’est déroulée «sans que les forces de l’ordre (les forces d’occupation marocaines, Ndlr) n’interviennent. Des violences ont toutefois éclaté dans la soirée après la dispersion du cortège. 21 policiers (marocains, Ndlr) ont été blessés». A ce bilan, s’ajoute «un nombre indéterminé de blessés parmi les manifestants» selon un responsable de la Ligue marocaine des droits de l’homme cité toujours par l’AFP.

Avant-hier dimanche, c’est à Smara, la deuxième grande ville du Sahara occidental, qui aura été le théâtre de violentes émeutes, ou ce que l’agence officielle marocaine, la MAP appelle «des violences». Citant des responsables marocains, la MAP fait état d’un autre rassemblement au cours duquel «des personnes ont érigé des barricades dans une tentative d’investir la voie publique et d’entraver la circulation, créant une situation de chaos». Selon la même source, ces heurts ont provoqué des blessures de divers degrés parmi les forces de l’ordre. Bien entendu, ce n’est pas la première fois que les Sahraouis manifestent pour leur indépendance. Sauf que, cette fois-ci, la présence de journalistes américains à Laâyoune met dans la gêne, et le régime marocain, et les médias du royaume contraints de rapporter, à leur manière, la tenue de cette manifestation même avec quarante-huit-heures de retard! Bénéficiant de l’appui et de la complicité de la France et de l’Espagne, ainsi que de «l’indifférence» des Américains, le Palais a réussi un presque parfait huis clos à son entreprise colonialiste contre le peuple sahraoui.

Depuis l’accord de Madrid et la fameuse «marche verte» de Hassan II en 1975 par laquelle le Maroc annexait cette ancienne colonie espagnole, le peuple sahraoui ne cesse pourtant de se battre. Il a même mené une guerre armée sous l’égide du Polisario. Les armes n’ont été déposées qu’en 1991 à la suite de l’implication de Washington qui imposera à Rabat d’entamer les premières discussions avec le Front Polisario en vue de l’organisation d’un référendum d’autodétermination, c'est-à-dire le cauchemar même du Maroc. Mais depuis, les négociations traînent en raison de l’entêtement du royaume qui veut associer ses propres colons à toute éventuelle consultation des Sahraouis sur leur propre destin! Or, tout le monde sait que, depuis 1975, la politique du makhzen consiste à transformer la carte démographique de ce vaste territoire occupé. Tout marocain désirant s’y installer bénéficie d’énormes facilités et de privilèges sans limites.

Profitant de la modestie du nombre d’habitants autochtones, Rabat cherche à l’évidence à créer une situation de fait accompli. Le soutien et la complicité inconditionnels de Paris ont permis au Maroc d’écraser le peuple sahraoui, même sur le plan médiatique. Seuls quelques pays comme l’Algérie, mais aussi des organisations de la société civile en Europe et aux Etats-Unis, comme la Fondation Kennedy, ont en revanche permis au peuple sahraoui d’avoir une présence même symbolique parmi la communauté internationale.

D’ailleurs, les choses recommencent à sérieusement bouger depuis fin avril avec deux événements majeurs: la relance de la mission de l’ONU au Sahara occidental qui constitue en soi un camouflet pour Rabat qui ne voulait plus en entendre parler, et l’implication pleine de Washington dans ce dossier. Ce n’est certainement pas un hasard du reste, qu’une délégation de journalistes américains se trouvait à Laâyoune et qu’un journal marocain se dit scandalisé par le fait que des manifestants brandissaient des drapeaux du Polisario et des Etats-Unis...